Le dossier du Cercle : mai 2014
« Le regard du praticien sur l’Ecole »
par Claude thélot
Claude Thélot rappelle que le rapport du Débat National sur l’Ecole parlait de « responsabilité » plutôt que « d’autonomie » et mettait l’accent sur l’unique objectif « Faire réussir tous les élèves ».
La réussite de chaque élève se définit en deux phases :
- l’acquisition du socle commun, temps de la scolarité obligatoire, qui s’impose à tous,
- un enseignement prenant davantage en compte le projet personnel et les capacités de l’élève.
Faire réussir tous les élèves est plus difficile qu’autrefois, il faut donc faire évoluer les établissements en leur donnant plus de responsabilités, soit plus d’autonomie.
Claude Thélot met en exergue son « célèbre trépied » :
– 1 – Un cadre national fort :
Il ne faut décentraliser ni les programmes (socle commun en particulier), ni les examens (c’est le bac qui tient les lycées), ni le statut de fonctionnaire d’état des personnels d’enseignement (exigences nationales du recrutement).
– 2 – Une capacité d’autonomie et responsabilité des établissements :
Pour cela il faut modifier la formation et la procédure de recrutement des chefs d’établissements et que tous les acteurs du système éducatif soient convaincus que tous les élèves peuvent réussir. Il faut aussi une différentiation équitable et maîtrisée des moyens alloués aux établissements (c’est un aspect du cadre en réalité). Comme toute règle, il faut dans le cas d’établissements ou de contextes très difficiles prévoir des processus dérogatoires également sous contrôle (comme la capacité de recrutement par le chef d’établissement). Toutefois une telle proposition conduit à d’importantes résistances de la part des organisations syndicales et des parents d’élèves. Claude Thélot ajoute que la différentiation, soit pour les parcours des élèves lors de l’acquisition du socle commun, soit dans le cadre de la répartition des moyens ne s’oppose pas à l’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme : « Egaux en droit ne veut pas dire égaux en moyen ».
– 3 – Une plus grande puissance d’évaluation
- rendre compte régulièrement des résultats,
- présenter l’état et le contexte de l’établissement pour définir les éléments de différentiation (envisager comme moyen, un contrat Etat – Collectivité Territoriale – Etablissement),
- évaluer les initiatives prises.
« il n’y a pas d’autonomie sans évaluation »
Au sujet des enseignants, Claude Thélot déplore qu’on ne s’occupe que de la formation initiale de trois ans pour les enseignants et les chefs d’établissement pendant 40 ans de carrière. La politique d’évaluation des personnels doit ^dd’abord et principalement les aider, les faire progresser et les soutenir dans l’acte d’éduquer tout au long de leur carrière. Cette évaluation pourrait dans beaucoup de cas être annuelle, elle doit aussi avoir des conséquences sur leur carrière mais ce ne doit pas en être la raison première.
Autonomie et décentralisation
Ces deux processus sont largement antinomiques et peuvent néanmoins conduire au même risque : un accroissement des inégalités entre les élèves et les établissements. Ce risque est très difficile à conjurer si l’ensemble des acteurs n’est pas convaincu de faire réussir tous les élèves et si les différentes politiques citées plus haut ne sont pas décidées et concrétisées.
Changer le statut des enseignants ?
« Ce n’est pas le statut qui est en cause, mais la pratique que l’on en a fait depuis 60 ans »
La question du métier est centrale est devrait être prioritaire, ce qui entraînerait une profonde modification du décret de 1950. Beaucoup d’éléments ont une importance plus grande que le statut. Par exemple, les critères de classement des établissements, qui influe sur la carrière des chefs d’établissement. On pourrait réfléchir sur ce classement et le modifier pour le mettre plus au service de la politique d’autonomie-responsabilité. Il faut un recrutement des enseignants plus strict à l’issue de la formation et ne pas s’interdire d’en refuser certains. En cours de carrière, certains devraient pouvoir être aidés ou changer d’orientation.
Les thèmes précédents constituent en quelque sorte la cible de la réforme, les traits majeurs de l’objectif qu’elle devrait viser. Un autre sujet est la façon de réformer, c’est-à-dire de progresser vers cette cible. Car d’une part tout ne peut être fait en même temps, d’autre part le processus même de réforme doit être réfléchi, car elle est difficile à enclencher et réussir. C’est bien de la responsabilité des candidats au ministère que de définir non seulement la cible mais aussi la façon de s’en approcher. Il est certain qu’il faut insister sur ce second aspect car il n’est pas très fréquemment soulevé. Sans l’approfondir ici, il est essentiel de choisir avec soin : ce par quoi on commencera ; les modalités de travail avec les partenaires ; la façon de ne pas s’enfermer dans ce dialogue avec eux (point capital : l’éducation regarde tout le pays et pas seulement ses représentants, tous les professeurs et chefs d’établissements, etc.) ; la façon dont le ministre et ses collaborateurs seront toujours les défenseurs des élèves.
Enfin, à la fois en raison de l’état de nos finances publiques et pour garantir l’efficacité du processus de réforme, la règle suivante devrait être retenue sans exception : certes on ne réforme pas à moyens constants, mais aucun moyen supplémentaire ne sera décidé sans contrepartie stricte sur les façons de travailler au service de la réussite de tous les élèves.
Claude Thélot au Cercle Ecole et Société le 19 mars 2014